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Alain Garrigue

mardi 12 novembre 2002

Alain Garrigue, dans sa trilogie des Aventures d’Alex Russac (éditions Delcourt), et particulièrement dans le troisième volume paru, "SAMIZDAT", installe son héros dans un environnement industriel. L’histoire commence dans un complexe minier de Sibérie...

Alain Garrigue, présentez-vous !

Ouhh là là ... Dans un cas comme celui-ci, soit on écrit " A la recherche du temps perdu ", soit on donne son n° de Sécurité Sociale. Disons sans assommer personne, que j’ai 33 ans, que je suis dessinateur de BD, que j’ai vécu 11 ans à Paris et que, depuis 3 ans j’ai réinvesti Toulouse, où j’ai passé mon enfance. Je précise en passant que Toulouse est le véritable " Pays de Cocagne ", l’endroit où l’on fabriquait le pastel que les marchands, au Moyen-âge, roulaient en boulettes appelées " coques "... Intitulé qui n’est pas pour me déplaire.

J’ai publié mon premier album de BD en 1989, " Séjour en Afrique ", aux éditions Rackham. Un travail très intéressant car j’ai pu adapter librement une nouvelle de Jean-Luc Coudray sans en retirer une seule virgule. Cela nous a valu l’Alph’Art Coup de coeur à Angoulême. J’ai ensuite écrit et dessiné 4 albums aux éditions Delcourt : " Les aventures d’Alex Russac ", dont la première était directement inspirée de la vie de mon grand-père, gaucho en Argentine au début du siècle. Depuis quelques temps, je me consacre à des récits courts pour la revue " A suivre " (éd. Castermann) et diverses autres collaborations (" Je bouquine ", éd. Bayard et " Hitchcock présente ", éd. Vents d’Ouest). Doit également paraître début 97 un album collectif aux éd. Autrement, dans la série " Histoires graphiques "... Ouf !

D’où vous vient ce goût pour le monde industriel ?

J’ai la conviction que, si l’on considère la chose d’un point de vue strictement architectural, les usines resteront comme les créations majeures de ce siècle. C’est un peu pompier comme phrase, mais c’est ce que je pense. D’ailleurs, de nombreuses oeuvres de grands architectes s’inspirent directement des constructions industrielles et certaines tout bonnement de l’échafaudage, comme Beaubourg.
Moi, je me repais des originaux. Je passerais des heures à me balader au milieu des tuyères et des cuves à mazout. A contempler des grilles, des palans tourner, des grues naviguer dans le ciel, tournoyer sans fin. Parce que ce qui me touche, c’est le vrai. Une grue, si elle tourne, c’est parce qu’elle a une fonction, un travail à accomplir. On ne la fait pas tourner pour épater la galerie. Même si je me fous de cette fonction et si je la trouve dérisoire, grotesque ou le plus souvent nuisible, ce n’en est pas moins sa vérité qui donne une réalité à la grue. Une fois cette fonction effectuée, la grue disparaît.

Je ne nie pas l’oeuvre d’art en disant cela, je lui donne une fonction, comme aux grues. Toute oeuvre, réussie ou non, qui n’obéit pas à un besoin profond est vaine et artificielle. Tous les grands artistes que j’admire obéissaient à cela. Ils ne faisaient pas de " l’exquis ", du "joli ", du "décoratif ", ils répondaient à une fatalité du même ordre que celle qui détermine la circonférence d’une cheminée de haut-fourneau : tel emplacement, telle grosseur et telle hauteur, sinon elle explose. Voilà pourquoi j’ai toujours préféré les usines aux jets d’eau.

Dans quel environnement se situera l’action de votre prochaine BD ? Un site industriel ?

Il est marrant de préciser que j’ai longtemps loué un atelier aux Ardoines, une banlieue industrielle près de Paris, entre Vitry-sur-Seine et Choisy-le-Roi. Cet atelier était aménagé dans d’anciens entrepôts SNCF, entre la voie ferrée et une usine de recyclage de déchets. Je travaille actuellement sur le scénario d’une nouvelle histoire - avec un nouveau héros - et dans cet album apparaîtra certainement cette zone industrielle. Nous étions tout un tas d’artistes dans cet entrepôt. Le lieu, le travail, les gens... Il s’est passé de nombreuses choses là-bas, jusqu’à retrouver un pendu dans l’atelier voisin, un beau matin... Je n’en dis pas plus !

Sinon, j’ai dessiné récemment pour la revue " A Suivre " (n°216) une histoire courte où l’on voyait un homme, le " vérificateur ", vivant à l’intérieur d’une immense usine, où le monde devenait peu à peu cette usine, et où lui-même se découvrait être cette usine. On n’en sort pas !

Alex Russac est-il un héros ouvrier ?

Vous savez, mes bouquins, ce n’est pas non plus " Germinal ", même si j’ai un plaisir certain à dessiner cet univers industriel. Russac est un révélateur. En tout cas, en germe. Le nouveau personnage que je suis en train de créer entrera encore plus profondément dans ce rôle de révélateur : il ne résout rien à première vue, mais le seul fait qu’il vive une situation donnée ou qu’il porte son regard sur celle-ci peut faire changer, sinon la situation elle-même, du moins la conception que lui et les autres en avaient. Ce sera d’ailleurs grâce à une veine plus grotesque, plus comique.

Quels sont les sites industriels les plus insolites que vous ayez visités ?

Je connais surtout cette planète appelée " Les Ardoines " près de Paris. Ce qui m’avait marqué au début, c’est que la station R.E.R. fermait à 20 heures, au lieu de une heure du matin pour toutes les autres. Les trains s’arrêtaient, bien sûr, et on pouvait les prendre, mais on ne payait plus de ticket à partir de cette heure. Car c’est bien ça, la zone industrielle ! Tout fermait à 20 heures, après le départ des ouvriers. La SNCF ne laissait même pas la gare ouverte. Il fallait sauter le grillage. De toute façon, on passait par la voie ferrée pour arriver à notre atelier. C’était un monde, un univers dans lequel beaucoup de vieilles usines des années 30 côtoyaient les ensembles industriels actuels. Il y en avait même une, magnifique, une véritable cathédrale, qu’on voulait démolir, en face de la gare. On y tournait des films, je crois. Il était également question, à un moment, d’en faire un musée de l’industrie. Je la contemplais comme une idole aztèque, chaque jour. Elle a été préservée, je pense.

Propos recueillis en novembre 1996

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